Charlotte a pris une journée de congé.
Elle a décidé de rester à la maison aujourd’hui, de remiser
son tailleur Chanel de directrice générale : pour une fois, ils se
passeront d’elle au bureau.
La voici en peignoir, perchée sur un des tabourets qui longent
le plan de travail en marbre de sa cuisine, prête à attaquer un solide petit déjeuner
qui va changer de son café vite avalé, accompagné d’un fragment de biscotte.
Elle a juste oublié un détail.
Francine. Sa femme de ménage.
Elle vient chaque vendredi matin et c’est vendredi
aujourd’hui.
Et si Francine est une perle en qui Charlotte a toute confiance,
c’est une personne qui babille sans arrêt.
Et quand elle ne babille pas, elle chantonne, un sourire
éternellement posé sur ses lèvres.
Charlotte avait envie d’une journée de calme.
Comment cette femme fait-elle pour paraître aussi
heureuse ! Elle ne l’a jamais entendu se plaindre, elle semble toujours
contente de son sort.
Cela dépasse l’entendement de Charlotte pour qui Francine
est une énigme.
Elle gagne bien peu d’argent avec ses ménages, cela permet
tout juste d’améliorer les revenus du foyer, car son mari ne doit pas gagner
grand-chose non plus au service technique de la mairie.
Et puis elle a toute
cette marmaille ! Pourquoi faire autant d’enfants, je vous demande un
peu !
Pas de quoi sourire tout ça.
Vraiment, Charlotte ne comprend
pas !
« Vous n’avez pas encore fait le sapin de Noël
Madame ?
-
Non Francine, pas le temps pour ces futilités.
Mon fils ne viendra pas : trop occupé par son installation en Australie.
Alors nous en profiterons pour aller chercher un peu de soleil sous les
tropiques.
-
- Vous avez raison, cela vous fera du bien.
Je vous trouve très fatiguée.
-
Je le reconnais, je suis épuisée. Ces dernières
semaines ont été stressantes. Et vous Francine, cela ne vous manque-t-il pas de
partir en vacances ?
-
Les vacances ?? (le sourire de Francine
s’élargit encore si c’est possible).
Ma foi non ! Les seules que j’ai
prises ce fut lors de notre voyage de noces : nous sommes allés à l’île de
Ré. C’était si beau ! Il a plu tout le temps alors on est resté à l’abri
et… neuf mois plus tard, mon premier naissait (rires) !
-
Vous allez passer les fêtes chez vous alors,
comme d’habitude ?
-
Oh oui ! Cela fait des semaines qu’on en
parle à la maison. Ce n’est pas une mince affaire vous savez, car la maison va
se remplir de toute la famille ! Alors il faut tout prévoir, les repas,
les cadeaux, le sapin… toute une organisation ! Mais chacun participe avec
ses moyens. On n’aura peut-être pas de foie gras ni de champagne sur la table,
ce n’est pas grave. Les petites bulles qui pétillent, je les verrai dans les
yeux de mes enfants lorsqu’ils ouvriront leurs cadeaux le jour de Noël.
-
Mais vous ne vous reposez donc jamais
Francine ?
-
- Ce n’est pas vraiment du travail de préparer le
réveillon pour sa famille ! Une belle table, des bougies, de la jolie vaisselle…
Moi quand je suis dans ma cuisine, la tête au-dessus de mes casseroles, rien
que d’imaginer la mine réjouie de tout mon petit monde, je me sens toute
excitée et toute ravie !
-
Ah, cela me fait penser Francine, voici pour
vous : une boîte de chocolats et pour votre mari une bouteille de cognac.
-
Oh merci madame, comme vous êtes gentille d’y
avoir pensé ! Je les mettrai sous le sapin et je n’ouvrirai les paquets qu’à
Noël. Comme ça vous serez un peu avec nous ce jour-là et je penserai bien à
vous qui serez si bien au soleil.. »
Sous prétexte de mails à
consulter, Charlotte est allée s’enfermer dans son bureau. Elle n’a pas allumé
son ordinateur.
Elle s’est assise en face de la cheminée éteinte, les yeux dans
le vague. Une profonde tristesse l’a envahie tout à coup. Elle a froid.
Pourquoi se sent-elle si vide tout à coup ? Et si seule.
Sa journée terminée, Francine est
bien vite retournée chez elle.
Elle a ouvert la porte de sa
petite maison. Dans le séjour, le sapin de Noël a été allumé par les enfants
qui jouent à côté. Il embaume dans la pièce, de ce parfum indissociable de la
magie de Noël.
Cette magie qui prend peu à peu
possession du foyer de Francine.
Comme chaque soir en rentrant,
elle serre contre elle chacun de ses petits.
« Qu’est-ce que c’est maman demande sa
petite dernière en voyant les deux paquets qu’elle a rapporté ?
-
Un cadeau de ma patronne ma chérie.
-
Elle est gentille ta patronne. Tu n’ouvres
pas ?
-
Non, nous attendrons Noël. Je le lui ai dit.
Comme ça elle sera un peu avec nous. »
Francine a soigneusement déposé
les cadeaux au pied de l’arbre.
Les guirlandes lumineuses sont
venues se refléter sur le beau papier doré.