Elle est entrée dans ce magasin de vêtements de la galerie
marchande un peu par hasard, juste comme ça, avant d’aller faire ses courses.
Elle a caressé quelques étoffes, saisi quelques cintres pour
apprécier la coupe d’un pantalon ou d’une blouse.
Quelle jolie robe !
Certes, cette couleur violette n’est pas facile à porter,
cependant c’est justement sa couleur préférée. Même si elle n’a jamais osé.
Trop voyante.
« On croirait cette robe faite exprès pour
vous ! »
C’est la vendeuse qui s’est approchée et qu’elle n’a pas vu
arriver, toute à sa contemplation rêveuse.
« Oh, je ne le crois pas. La coupe ne correspond pas du
tout à ce qui me va. »
« Moi je n’en suis pas si sûre Madame et vous devriez
l’essayer, juste pour voir. »
Après tout, pourquoi pas.
Elle est seule et ce qui la rassure, c’est qu’ici chaque
cabine est pourvue de son propre miroir, ce qui évite de s’exhiber dans le
magasin, à se tortiller devant tout le monde pour évaluer le résultat sur toutes
les coutures !
La voici donc dans ce petit espace exigu.
Non, en fait elle n’est pas seule. Il y a elle. Et son
image.
Elle se regarde.
Sans complaisance. Comme d’habitude.
D’aucun la dise jolie, les regards masculins s’attardent parfois
sur son passage.
Elle se demande bien pourquoi.
Ne voient-ils pas qu’elle a des hanches trop larges, des
seins trop gros, des fesses trop molles et ce petit bedon qui se forme de
semaine en semaine et qui la contrit… bref, plein de trop !
(Tiens, ça lui fait penser qu’elle a entendu parler d’un super
blog… comment s’appelle-t-il déjà ?!).
Et puis elle a quarante ans bien sonnés.
Tout est dit.
Elle soupire.
Elle se déshabille précipitamment, en évitant de se regarder
et enfile prestement cette robe que tout compte fait, elle a eu la bêtise
d’accepter d’essayer.
Elle a décidément le chic pour se mettre dans des situations invraisemblables.
Voila, elle ajuste le vêtement et se retourne vers le
miroir. Cet ennemi implacable.
Mais de quelle matière est donc fait ce tissu pour qu’elle
le sente à peine sur sa peau ?
Comment se fait-il qu’elle se trouve presque jolie avec
cette robe ?
Est-ce à cause de la couleur ? Elle adore vraiment cette
couleur.
Bon, en y regardant de plus près, ses hanches sont toujours
là, ses seins trop gros, ses fesses trop molles et ce petit bedon…
Mais comment dire ? Il s’est créé comme une légère
harmonie.
Cette robe magique a comme gommé une partie de tous ses
défauts.
La vendeuse s’approche du rideau : « Me
permettez-vous de regarder Madame ? »
Le bouquet de violettes entrouvre le rideau.
« J’avais raison, s’exclame la vendeuse, cette robe a
été faite pour vous ! Vous devriez sortir de la cabine pour vous regarder
dans notre miroir en pied, vous vous verrez mieux, venez ! »
Timidement, elle sort donc de sa forteresse et prudemment,
se regarde de profil.
Ce n’est pas la seule chose qu’elle aperçoit alors dans ce
grand miroir.
Elle voit aussi le regard de ces dames qui attendent leur
tour pour un essayage.
Et ce qu’elle voit la transporte.
Elles sourient à son image.
Le miroir lui renvoie le sourire de ces dames qu’elle ne
connait pas mais qui, tout comme elle visiblement, vivent cette souffrance de
ne pas s’aimer comme il faut : elle le sait, car elle sent non pas de la
compassion dans leur sourire, mais de la solidarité. Leurs regards semblent lui
dire : « Nous sommes du même bord que toi et nous savons ce que tu penses. Alors tu peux nous croire : tu es très jolie !»
Cet échange n’a duré que quelques secondes.
Quelques secondes de complicité et d’intimité.
Devant le grand miroir, elle a souri.
Souri à son image et souri à toutes ces dames.
Avec ses lèvres elle a esquissé le mot